Historique

La crise

Frappée par des dizaines d’années d’instabilité et de combats, la République centrafricaine, déjà accablée par la pauvreté, a été témoin, en décembre 2012, d’une reprise de la violence lorsque la coalition de rebelles Séléka, essentiellement musulmane (« Séléka » signifiant « alliance » dans la langue sango), a lancé une série d’attaques. Un accord de paix (l’Accord de Libreville), conclu en janvier 2013, n’a pas empêché les rebelles de prendre le contrôle de la capitale, Bangui, en mars, forçant le Président François Bozizé à fuir. Un gouvernement de transition a ensuite été mis en place et chargé de rétablir la paix. Le conflit a pris une tournure de plus en plus religieuse en décembre lorsque le mouvement anti-Balaka (anti-machette), essentiellement chrétien, a pris les armes et que des affrontements se sont produits entre les deux groupes à Bangui et dans sa périphérie.

Des mois de violence ont précipité l’effondrement des institutions de l’État et laissé des millions de personnes au bord de la famine, avec la menace que le conflit s’étende à toute la région. Il semble que les tués se comptent en milliers et que 2,5 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population totale, a besoin d’une assistance humanitaire. Au 14 mars 2014, on comptait plus de 650 000 personnes déplacées dans le pays dont plus de 232 000 pour la seule capitale, Bangui. Parmi ces personnes, 70 000 vivaient dans des conditions « effroyables » dans un site abritant des personnes déplacées dans l’aéroport. Plus de 290 000 Centrafricains ont également fui pour se réfugier au Cameroun, au Tchad, dans la République démocratique du Congo et dans la République du Congo.

Depuis le début de la crise, les Nations Unies, leur Secrétaire général, et d’autres acteurs internationaux et régionaux, dont la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), l’Union africaine (UA), l’Union européenne (UE) et la France, ont œuvré sans relâche pour trouver une issue pacifique au conflit, mettre un terme aux assassinats, protéger les civils et acheminer une assistance humanitaire.

BINUCA

Le Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (BINUCA), qui a été déployé dans le pays depuis janvier 2010 pour contribuer à consolider la paix et renforcer les institutions démocratiques, devait revoir ses priorités mais est resté présent pendant la crise malgré le pillage de ses bureaux et des résidences de son personnel et la réduction de ses interventions à cause de l’insécurité.

En septembre 2013, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a recommandé de prendre certaines mesures pour donner plus d’efficacité à la présence du BINUCA sur le terrain. En conséquence, le Conseil de sécurité a adopté sa résolution 2121 (2013), qui a renforcé et modifié le mandant du BINUCA dans cinq domaines: l’appui à la mise en œuvre du processus de transition; l’appui à la prévention des conflits et à l’assistance humanitaire; l’appui à la stabilisation des conditions de sécurité; la promotion et la protection des droits de l’homme et la coordination des acteurs internationaux participant à l’exécution des tâches susmentionnées.

La Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) et l’Opération Sangaris

Alors que la situation en République centrafricaine se dégradait dangereusement en décembre 2013 avec un nouveau cycle de violence et de représailles qui menaçait de diviser le pays sur des bases religieuses et ethniques et, éventuellement, de dégénérer pour devenir incontrôlable, le Conseil de sécurité, dans sa résolution 2127 (2013) du 5 décembre, autorisait le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) et d’une force de maintien de la paix appuyée par la France (appelée « Opération Sangaris) pour mettre un terme à l’escalade de la violence. Parallèlement, le Conseil confiait des missions supplémentaires au BINUCA en appui à l’opération élargie de l’Union africaine et priait le Secrétaire général « d’entreprendre sans tarder » les activités de préparation et de planification nécessaires en vue de la transformation éventuelle de la MISCA en une opération de maintien de la paix des Nations Unies, tout en soulignant qu’une décision de sa part serait nécessaire pour que cette mission soit établie.

Les déploiements rapides de la MISCA et des forces de l’Opération Sangaris se sont révélés salutaires et ont permis de sauver la vie de nombreux civils et d’empêcher une tragédie de plus grande ampleur dans la République centrafricaine. Cependant, il était clair, au regard de l’ampleur et de l’étendue géographique de la crise, que les besoins de sécurité sur le terrain étaient nettement supérieurs aux moyens disponibles et à l’importance des forces internationales déployées. Les violences et les violations à grande échelle des droits de l’homme se sont poursuivies dans le pays malgré la présence de ces forces. En outre, les forces déployées ne disposaient pas de composantes civiles pour protéger comme il se doit les civils qui risquaient à tout moment d’être victimes de violence ou pour remédier aux causes profondes du conflit.

[Au 21 février 2014, l’effectif de la MISCA en uniforme était de 6 032 agents tandis que l’Opération Sangaris mobilisait 2 000 militaires. En outre, un contingent militaire de l’Union européenne, fort de 1 000 hommes, devait entamer son déploiement à Bangui au début d’avril 2014.]

L’initiative en six points du Secrétaire général

S’adressant au Conseil de sécurité en date du 20 février 2014, le Secrétaire général a prôné une réponse globale et intégrée à la complexe crise que traverse la République centrafricaine, tenant compte de toutes ses dimensions, qui touchent à la sécurité, à l’assistance humanitaire, aux droits de l’homme et à la politique. Le Secrétaire général devait peu après cette date exposer au Conseil les grandes lignes d’une future opération de maintien de la paix des Nations Unies. Il a cependant noté que le déploiement de cette force pourrait nécessiter plusieurs mois et que le peuple de la République centrafricaine ne pouvait pas attendre encore pendant des mois.

C’est dans cet esprit que le Secrétaire général a proposé une nouvelle initiative en six points pour mettre un terme à la violence et aux massacres, protéger les civils, empêcher le démembrement de fait du pays, faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et apporter au Gouvernement une partie du soutien dont il a besoin d’urgence.

L’initiative prévoyait le renforcement rapide des effectifs de l’Union africaine et de la France sur le terrain et le déploiement d’autres soldats et policiers; la fourniture d’un soutien logistique et financier aux forces africaines; la coordination du commandement des forces internationales, dont la mission expresse est d’empêcher les assassinats et de protéger les civils; la fourniture rapide d’un soutien concret au Gouvernement centrafricain; l’accélération du processus politique et de la réconciliation dans le pays et le financement d’urgence de l’intégralité des opérations humanitaires.

Le Secrétaire général a invité instamment le Conseil de sécurité à appuyer ces propositions, qui se voulaient une mesure provisoire essentielle, en attendant le déploiement d’une opération de maintien de la paix des Nations Unies.

Proposition de déploiement d’une opération de maintien de la paix des Nations Unies

Dans un rapport présenté au Conseil de sécurité en date du 3 mars 2014, le Secrétaire général a recommandé au Conseil, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, d’autoriser le déploiement d’une opération de maintien de la paix multidimensionnelle des Nations Unies dont la priorité première serait la protection des civils.

Effectifs

Il s’agissait de transférer les principaux éléments de la MISCA dans l’opération de maintien de la paix des Nations Unies, ainsi que d’autres éléments choisis en fonction de la politique de vérification des antécédents de respect des droits de l’homme et d’autres ressources, de façon à parvenir à l’effectif autorisé, soit 10 000 hommes, dont 240 observateurs militaires et 200 officiers d’état-major, et un maximum de 1 820 membres de la police civile et 10 unités de police constituées comprenant 1 400 membres des unités de police constituées, 400 policiers et 20 spécialistes des questions pénitentiaires en détachement. Ces effectifs seraient déployés en même temps qu’une importante composante civile et le personnel d’appui requis. Ils seraient réexaminés à intervalles réguliers et feraient l’objet de recommandations au Conseil. Avec la mise en place de l’opération de maintien de la paix, le BINUCA devait disparaître.

Objectifs et priorités

Les objectifs et priorités d’une opération des Nations Unies et, partant, sa configuration et ses activités devraient être adaptés au cours du temps en fonction de la situation et des besoins particuliers du pays et de son peuple. Ainsi, durant la phase initiale de son déploiement, l’opération de maintien de la paix des Nations Unies aura pour objectifs d’assurer un climat de sécurité, condition indispensable aux progrès dans d’autres secteurs, d’aider le Gouvernement de transition à exercer les fonctions essentielles de l’État, d’appuyer les efforts de paix et de réconciliation, de protéger les droits de l’homme fondamentaux et de faciliter l’acheminement d’une aide humanitaire.

À mesure que les conditions évolueront dans le pays, que l’état de la sécurité s’améliorera et que les capacités nationales de sécurité se renforceront, la mission des Nations Unies accordera plus d’importance aux activités suivantes: appui à l’extension de l’autorité de l’État et à la fourniture de services publics par l’État; consolidation d’un environnement politique stable; réconciliation des communautés et retour des personnes dans leurs foyers; renforcement des institutions garantes de l’état de droit et promotion du respect des droits de l’homme. Il faudra d’emblée arrêter une stratégie de sortie faisant fond sur les acquis dégagés en matière de renforcement des capacités nationales.

Il sera nécessaire de déployer dans un premier temps des effectifs militaires importants, afin de relever les défis de sécurité, mais les forces militaires des Nations Unies devront être progressivement réduites dès que les conditions seront réunies, permettant à l’ONU de concentrer, dans la mesure du possible, la majeure partie de ses efforts sur les tâches cruciales en matière civile et le renforcement de l’État.

Mandat

Le Secrétaire général a recommandé que le mandat de l’opération de maintien de la paix proposée prévoit les activités ci-après:

  • protection des civils;
  • protection du personnel, des installations et du matériel des Nations Unies, et garantie de la sécurité et de la liberté de circulation du personnel des Nations Unies et des personnels associés;
  • appui au processus politique et aux éléments indispensables à la transition, comme le rétablissement de l’autorité de l’État et son extension à l’ensemble du territoire;
  • création de conditions propices à l’acheminement d’une aide humanitaire de principe et au rapatriement volontaire et durable des personnes déplacées et des réfugiés en toute sécurité;
  • promotion et protection des droits de l’homme;
  • promotion d’un dialogue national, de la médiation et de la réconciliation à tous les niveaux; et
  • appui au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration des anciens éléments armés, une attention particulière devant être portée aux enfants; rapatriement des éléments étrangers et exécution de programmes de réduction des violences communautaires.

Parmi les tâches supplémentaires qui devraient être inscrites dans le mandat de l’opération, on mentionnera :

  • l’appui à l’organisation et à la tenue d’élections;
  • l’appui à la réforme du secteur de la sécurité;
  • l’appui aux institutions policières, judiciaires et pénitentiaires, afin de rétablir le système de justice pénale;
  • la lutte antimines, le contrôle du trafic d’armes et de munitions et la gestion des stocks;
  • la coordination de l’action internationale à l’appui du renforcement de la bonne gouvernance, y compris l’élaboration d’une politique budgétaire saine et la gestion rationnelle des ressources naturelles;
  • le renforcement des institutions et la mise en place des fondements d’un redressement socioéconomique à long terme.

Transition

En présentant sa proposition, le Secrétaire général a indiqué qu’à la lumière des enseignements tirés des précédentes transformations d’opérations régionales en missions de maintien de la paix des Nations Unies et des problèmes particuliers sur le terrain, il faudrait environ six mois à l’Organisation des Nations Unies pour préparer le déploiement de son opération. Pour que la mission des Nations Unies soit prête et que la transition se fasse sans heurt, il a été recommandé que le Secrétariat, en coordination avec la Commission de l’Union africaine, déploie immédiatement une équipe de transition en République centrafricaine, avec la participation de la MISCA et du BINUCA, chargée d’établir l’opération de maintien de la paix envisagée et de préparer le transfert des pouvoirs pour le 15 septembre au plus tard.

Comme priorité immédiate, l’équipe mettrait au point des plans stratégiques, plus particulièrement un concept de mission assorti d’un concept d’opérations et de plans d’appui, tout en lançant la construction des installations nécessaires, notamment le quartier général, les camps et les bureaux extérieurs dans tout le pays. Par conséquent, il importait de déployer immédiatement les moyens civils nécessaires, notamment des pilotes et des ingénieurs. L’équipe devait également aider à recruter rapidement des fonctionnaires civils ayant les compétences linguistiques nécessaires.

Coopération internationale

Le Secrétaire général a estimé qu’il n’y aurait pas de solution à la crise en République centrafricaine sans la solidarité constante et agissante de ses voisins et de la région et leur a demandé, ainsi qu’à l’ensemble de la communauté internationale d’intensifier leur action en faveur de la République centrafricaine, en tenant compte de leurs avantages comparatifs tout en s’efforçant de tirer parti des partenariats et des initiatives régionales.

Il a également indiqué que l’opération de maintien de la paix envisagée ne pourrait réussir que si la région continue de jouer un rôle important et complémentaire, y compris par le biais du médiateur, le Président Sassou Nguesso, de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale et de l’Union africaine. La mission devrait donc travailler en étroite collaboration avec l’Union africaine et la Communauté économique et leur apporter tout son soutien politique ainsi qu’un appui opérationnel limité en fonction de ses moyens, de ses capacités et de ses compétences, afin qu’elles puissent continuer à jouer un rôle dans la stabilisation du pays.

Une vaste entreprise à long terme

En conclusion de son rapport, le Secrétaire général s’est dit conscient qu’il n’y aurait pas de solution miracle en République centrafricaine et que le règlement de la crise exigerait du temps et des moyens. L’ampleur des besoins du pays est impressionnante et les progrès accomplis dans un domaine ne seraient durables que s’ils s’accompagnent de mesures majeures dans d’autres. Continuer à reporter des mesures multidimensionnelles durables pourrait avoir des conséquences humaines et financières bien plus lourdes. La partition éventuelle du pays suivant des lignes sectaires et la création d’un terreau fertile à des groupes extrémistes sont des risques réels, qui pourraient avoir des conséquences graves pour la stabilité de la région et au-delà.

Le Secrétaire général a indiqué que bon nombre des problèmes auxquels se heurte la République centrafricaine dépassent les capacités d’une opération de maintien de la paix des Nations Unies, compte tenu de la complexité de la crise, de l’absence d’un dispositif de sécurité et de la déliquescence de l’État. Le déploiement d’une opération de maintien de la paix des Nations Unies en République centrafricaine devrait donc s’inscrire dans une vaste entreprise à long terme de la communauté internationale. Le succès de cette entreprise visant à aider le Gouvernement et le peuple de la République centrafricaine à reconstruire un État dépendra des contributions et des engagements d’un grand nombre d’acteurs, mais, avant tout, des Centrafricains eux-mêmes.