Birao : Genèse d’une crise

7 nov 2019

Birao : Genèse d’une crise

Biliaminou Alao

Birao, ville de l’extrême nord-est de la République centrafricaine et chef-lieu de la préfecture de la Vakaga, est située à environ 1067 km de Bangui. Les environs 14 000 habitants de cette région frontalière du Tchad, du Soudan et du Soudan du Sud, se disent ‘’abandonnés par l’État central’’. 

Ici, comme dans d’autres préfectures, des groupes armés y ont fait leur apparition, notamment le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) dominé majoritairement par les ethnies Rounga, Haoussa et Goula, et le Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice (MLCJ) dominé majoritairement par l'ethnie Kara. 

En vertu d'une entente avec la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) depuis 2014, leurs éléments n'arborent pas d'armes en ville. Pour autant, cela n’a pas empêché des affrontements entre les deux groupes en septembre dernier dans une ville jusque-là épargnée par le cycle de violences observées dans d’autres localités.

« Nous ne voulons pas des hommes en armes dans notre localité. C’est en ces termes que les habitants de Birao ont demandé que des éléments armés quittent la ville et cessent de déambuler avec des armes dans les lieux publics, en flagrante violation de l’accord signé avec la MINUSCA en 2014. Cette demande a été formulée lors de plusieurs réunions du Comité de mise en œuvre préfectoral (CMOP), regroupant les leaders communautaires, les autorités locales et la Mission des Nations Unies comme observatrice. 

Les problèmes remontent à juillet 2019. En effet, selon le général Konton, un responsable du FRPC, le groupe armé s’est rendu sur place pour renforcer la sécurité, suite aux affrontements ayant opposé le MLCJ et le FPRC à Am-Dafock le 14 juillet 2019, précisant que le FPRC respecte l'Accord de paix et de réconciliation en RCA (APPR-RCA) signé en février 2019 et que ses éléments ne séjournent pas dans la ville pour harceler la population locale parce qu'ils sont leurs parents. 

Cependant, les leaders de la localité ont souligné, au cours d’une rencontre, qu'il fallait examiner cette question en procédure d’urgence, afin d'éviter une réplique des affrontements d’Am-Dafock à Birao. Le Représentant de la MINUSCA a, pour sa part, rappelé l’importance du retour dans leurs zones initiales de tous les éléments armés du FPRC venus de Ndele dans la préfecture de la Bamingui-Bangoran, et informé que la Mission étudie les voies et moyens pour en assurer l’effectivité. 

Le leader du FPRC, le Général Abdoulaye Hissene, confirme sa volonté de retirer ses éléments de la cité, tout en pointant du doigt les difficultés de déplacement liées au mauvais état des routes devenues impraticables du fait de la saison des pluies. Selon lui, un tel mouvement ne serait possible qu'après octobre. Il propose par ailleurs que la MINUSCA facilite le processus par le transport aérien de leurs engins militaires, une solution pour un départ sans délai de ses troupes.

Entre temps, à la suite de vols commis dans le marché, certains commerçants ont sollicité le soutien du groupe armé pour assurer la sécurité du marché jusqu'en octobre. Une demande à laquelle la population a fait suite à travers le CMOP, en attendant de la désignation de l'instance qui devrait assurer la sécurité des lieux.

L’altercation qui dégénère et met le feu aux poudres

Le 29 août 2019, en plein centre du marché, une banale altercation entre des éléments du FPRC s’envenime. Dans la foulée, le jeune fils de 25 ans du Sultan-Maire est mortellement atteint. Immédiatement, la MINUSCA a exigé que les éléments du FPRC impliqués dans le meurtre du jeune-homme soient remis aux autorités compétentes, et clairement notifié au responsable local du groupe armé qu’il pourrait être cité pour violation des droits de l'homme, en raison de sa responsabilité par rapport aux actes commis par les hommes sous son contrôle. 

Mais le Général Konton rechigne à remettre l'auteur présumé. Ce qui a pour effet d’exacerber la tension et de déclencher les affrontements du 1er septembre 2019, autour du marché entre éléments du FPRC et ceux du MLCJ appuyés par des jeunes d’une ethnie locale. Conséquence : plus de 3000 déplacés civils fuient les combats et trouvent refuge à la base de la MINUSCA.

Immédiatement le bataillon zambien de la MINUSCA s’est déployé et a intensifié les patrouilles dans la ville pour protéger et évacuer les civils pris au piège afin de les sécuriser. Au cours de leur intervention, les Casques bleus retrouvent, évacuent et sécurisent des civils piégés. 

Selon les toutes premières données des partenaires humanitaires, notamment le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), le nombre de déplacés internes est monté de façon exponentielle, pour atteindre près de 13000 déplacés à côté de la base de la MINUSCA et 1600 près de l’aérodrome de Birao.  Le site près de la base de la MINUSCA étant inapproprié, les déplacés sont confrontés à des difficultés majeures : manque de nourriture, d'abri et d'installations sanitaires. Les femmes et les enfants sont exposés au froid, aux intempéries et à d’éventuelles épidémies. Mais l’arrivée rapide des acteurs humanitaires aura permis de répondre à leurs besoins fondamentaux.

Pendant ce temps, des rumeurs font état du renforcement des positions des groupes armés et d’une attaque imminente. Les pillages et les incendies de maisons se poursuivent, au crédit de jeunes incontrôlés et non identifiés. Des hommes en armes continuent de déambuler dans la ville. 

Des efforts de solution accompagnent la protection des civils

Le 10 septembre 2019, la MINUSCA a mené des patrouilles de reconnaissance aérienne autour de Birao, Sikekedi, Takamala, Matala, Ganai et Boromata, pour surveiller les mouvements des éléments armés. L'équipe de patrouille n'a cependant pu retracer aucun mouvement suspect d'éléments armés, bien qu'il ait été observé que certains villages étaient apparemment abandonnés. 

Dans un effort pour trouver une solution durable à la crise sécuritaire, les responsables de la MINUSCA et les autorités locales ont tenu plusieurs réunions, suite aux rumeurs faisant état de l’avancée des éléments du FRPC sur la ville. À cette occasion, le Maire a déclaré que le conflit n'était pas entre les groupes armés, mais ethnique, et qu’il serait résolu par le dialogue avec l'aide des diverses parties prenantes.

C’est dans cette ambiance d'échanges pour ramener la paix que le FPRC a lancé un assaut de représailles contre la communauté MLCJ Kara, provoquant de nouveau de violents affrontements entre les deux camps, à l’aube du 14 septembre 2019. Le bilan des deux combats du 1er et du 14 septembre 2019 est désormais de 71 morts (56 FPRC et 15 MLCJ) et de 42 blessés (23 FPRC et 19 MLCJ)

Ce nouvel incident a amené la MINUSCA à encore intensifier ses patrouilles dans la ville de Birao et ses environs et à mettre en place des postes d’observation tactiques installés près du marché de Birao, pour assurer la sécurité et empêcher qu'aucun élément armé ne pénètre dans la ville. C’est après les violents affrontements que le 13 octobre 2019, Am-Dafock, ville située à 67 Kms de Birao à la frontière avec le Soudan, voit aussi s’affronter à son tour le FPRC et le MLCJ. 

La situation sécuritaire reste tendue et fragile à Birao

Ces différents affrontements ne rassurent guère les personnes déplacées pour qui, retourner à la maison signifierait se livrer aux hommes en armes. Face à cette situation, les autorités locales, les leaders communautaires et la MINUSCA ont démarré, le 16 octobre 2019, une série de rencontres afin de ramener la paix et la cohésion sociale qui existaient entre les communautés. Le Gouvernement, dans le cadre de la restauration de l’autorité de l’État, y a déployé 50 éléments des Forces armées centrafricaines (FACA) et 26 Forces de sécurité intérieure (FSI). La MINUSCA, les FSI et les FACA multiplient des patrouilles conjointes dans les quartiers et villages environnants, afin de garantir la sécurité des populations. 

À toutes ces initiatives de la MINUSCA s’ajoutent des efforts entrepris, d’abord le 12 septembre 2019, par les membres de l’Association des ressortissants de la Vakaga pour le développement (AREVAD), et la délégation gouvernementale conduite par le ministre des transports et ministre résident de la Vakaga, Arnaud Djoubaye Abazene, le 26 septembre 2019. Ces deux initiatives qui visait à obtenir un cessez-le-feu entre les parties et promouvoir le dialogue n’ont pas été concluantes. Depuis, le bureau de Birao facilite une initiative de dialogue entre les groupes belligérants pour restaurer le vivre-ensemble, sécuriser la ville et obtenir un retour volontaire des déplacés estimés à plus de 20.000 personnes.

Les conditions de vie des déplacés du site de la base onusienne à Birao sont difficiles et particulièrement préoccupantes pour les femmes et les enfants. « Les conditions d’hygiène ne sont pas réunies », a expliqué la déplacée Aicha Doukouré, précisant que les gens dorment à même le sol et éprouvent des difficultés à manger ou à avoir accès à l’eau potable. Elle a ensuite rappelé que les enfants ne vont pas à l’école, avant d’émettre le souhait de retrouver la paix et la sécurité.

Il faut également relever que la situation géographique du camp qui a été improvisé, n’est pas appropriée pour héberger un nombre aussi important de personnes. En effet, le camp, situé dans une crevasse, est souvent inondé par les pluies, entraînant à la surface des eaux tous les déchets domestiques en raison du manque d’entretien des latrines et des dépotoirs d’ordures.

C’est dans ce cadre que les femmes Casques bleus du contingent zambien ont initié la salubrité du camp avec la participation des déplacés qui à cette occasion, ont rappelé la nécessité de relocaliser le camp sur un site plus adapté et protégé par la MINUSCA. Le nouveau site pourrait accueillir 14.000 personnes et serait doté d’une mosquée et d’une église pour permettre aux personnes déplacées d'exercer leur foi. De même, les femmes Casques bleus zambiennes ont entrepris de nettoyer le marché de Birao brûlé et pillé durant les affrontements, sous le leadership du préfet, du chef de bureau et du Commandant du bataillon, et la participation des déplacés. Quelques jours après cette opération de salubrité, plus de 20 commerçants ont repris leurs activités et promis encourager d'autres commerçants à revenir sur le marché, affirmant que la situation se normalisait lentement. Depuis le marché a repris son cours habituel.

L’équation de la rentrée scolaire 

Officiellement lancée le 16 septembre 2019, sur le plan national avec le slogan ‘’Mobilisons-nous pour une rentrée équitable à nos enfants’’, la rentrée académique 2019-2020 est perturbée à Birao pour cause d’insécurité. En attendant, l’ONG NDA en collaboration avec Word Child intensifie les activités sur les espaces amis des enfants en vue de les occuper. Cette situation inquiète les parents qui, pour garantir l’avenir de leurs enfants, demandent au Gouvernement centrafricain de prendre des mesures pour ramener la paix et la sécurité dans cette localité.

Dans le cadre de la poursuite des efforts de normalisation de la situation, la MINUSCA a échangé avec le Sultan-Maire, Moustapha Ahmat Amgabo, le préfet de Vakaga, Leonard Mbele, et le sous-préfet Zakaria Ramadan sur le rapatriement d'anciens combattants qui ont participé aux affrontements des 1er et 14 septembre et qui sont admis dans le camp des déplacés. Rapatriés dans un premier temps à Bria, grâce à la MINUSCA, huit de ces ex-combattants ont ensuite été transférés à Bangui, à la demande du Procureur de Birao et de la Cour pénale spéciale (CPS).

Depuis lors, une initiative de dialogue initiée par le préfet de la Vakaga, Leonard Mbele et soutenue par la MINUSCA permet aux communautés de commencer à se parler et aux déplacés internes de commencer à rentrer timidement chez eux. 

Les indicateurs tournent progressivement au vert, et donnent des motifs d’espoir de paix, de vivre-ensemble et de développement. La partie gouvernementale et la communauté internationale ont fait des efforts palpables qui demandent à être soutenus par tous, y compris les groupes armés et populations toutes tendances confondues. Un creuset commun existe déjà en l’Accord politique pour la paix et la réconciliation (APPR) dont le respect par les uns et les autres, en termes d’engagements, constituera la clé pour conjuguer définitivement dans le passé les troubles dont a souffert Birao, afin d’amorcer de véritables actions de développement.

A4P
POC