Ex-combattants et bénéficiaires de projets CVR, ils tournent définitivement la page de la violence

18 déc 2019

Ex-combattants et bénéficiaires de projets CVR, ils tournent définitivement la page de la violence

Le programme de réduction de la violence communautaire (CVR) conduit à travers la Centrafrique, et notamment à Bangui, a qualitativement changé leur vie. Membres de la communauté ou ex-combattants réinsérés dans la vie active, ils assurent que rien ne pourra les faire revenir en arrière. Portraits croisés de trois bénéficiaires au destin commun.

 

Seuls les cliquetis de la machine à coudre emplissent l’atmosphère de la petite salle où trônent tissus neufs, vêtements cousus, table de découpe et bouts de tissus travaillés. La mine concentrée, Elsie a les yeux rivés sur les va-et-vient de l’aiguille. Couturière travaillant à son compte depuis un peu plus d’un an, la jeune femme de 32 ans et mère de deux enfants ne badine pas avec la chance que lui a donnée la vie. Car dit-elle, elle vient de loin : « Avant je ne faisais rien, je restais à la maison. Un jour ma grande sœur m’a interrogée sur ce que je voulais faire dans la vie, car il n’était pas bon que je reste ainsi sans rien faire. Je lui ai répondu que je voulais faire la couture, mais je n’en avais pas les moyens. Elle a alors proposé de me payer une formation. J’ai donc travaillé comme aide chez divers couturiers […] mais les évènements de 2013 ont mis fin à mon activité. Je suis revenue à la case départ. »

 

Après 5 années de diverses péripéties, Elsie fait connaissance avec le CVR en 2018, grâce à une amie qui y a participé. « Je me suis alors fait enrôler. J’ai choisi la filière Couture, mais malheureusement, il n’y avait plus de place. J’ai donc opté pour le Commerce. Aujourd’hui, je ne regrette pas mon choix, parce que la formation en commerce m’a aidée à bâtir mon business, puisque j’avais déjà des connaissances en couture. Je me sens doublement complète. Je fais un bénéfice d’au moins 5000 FCFA par jour », confie-t-elle.

 

Comme elle, ils sont plusieurs milliers de membres de la communauté et ex-combattants à bénéficier du CVR à Bangui. En effet, Le Projet a été officiellement lancé dans la capitale en 2016, avec comme objectif de prendre en charge 3 000 bénéficiaires issus des groupes d’autodéfense du PK5 dans le 3ème arrondissement, des ex-Séléka des trois camps de Bangui (Beal, BSS et RDOT), des anti-Balaka et des membres de leurs communautés. En 2018, une nouvelle phase du CVR a été mise en œuvre par la section de Désarmement, Démobilisation, Réintégration (DDR) de la MINUSCA et le Bureau des Nations Unies pour les services d'appui aux projets (UNOPS) pour 1100 bénéficiaires. Cette année 2019, le CVR Bangui cible les groupes d’auto-défenses du 3èmearrondissement et les membres de la communauté avec un total de 800 bénéficiaires.

 

Bob, lui, est chauffeur au Ministère des mines. Très calme, mais alerte, cet ex-combattant de 30 ansa déposé les armes et embrassé la mécanique et la conduite automobile proposée par le programme. « A la fin de ma formation, j’ai reçu un kit composé d’un permis de conduire et d’un lot d’outils de mécanique. J’ai travaillé comme chauffeur de taxi aussitôt la formation achevée. Aujourd’hui, j’ai obtenu un emploi permanent de chauffeur avec un salaire de base de 25.000 FCFA auquel s’ajoutent les autres frais liés à ma fonction. »

 

Les récipiendaires sont unanimes sur le CVR : il donne de la valeur et de la considération à ses bénéficiaires dans leur communauté. Bob reconnait que son revenu est un brin modeste, mais « grâce aux cours de gestion offerts lors de ma formation, j’ai appris comment fructifier le peu que je possède. Ainsi, j’ai pu aider ma compagne à monter son commerce de vente de fruits et légumes frais, et notre foyer se porte bien », soutient-il, avec fierté. Grâce à sa rigueur et sa persévérance, Elsie la couturière a construit sa propre maison qui abrite aussi son atelier. « Je n’ai pas de loyer à payer désormais. Moi qui ne faisais rien, aujourd’hui je suis à même de scolariser mes enfants et mes parents sont fiers de moi », confie-t-elle. Ghislaine Nelly, commerçante et propriétaire d’une échoppe dans le 5ème arrondissement de Bangui, est émue lorsqu’elle se remémore son parcours : « Le CVR m’a changée. Avant, je n’étais pas comme cela. Mes deux enfants et moi vivions sous le couvert de mes parents. Aujourd’hui je suis autonome. J’ai une activité qui me permet de les scolariser. Dans ma famille, je suis respectée de nouveau. »

 

Bien au-delà des aspects techniques, il y a les qualités humaines acquises par les bénéficiaires : persévérance, respect de l’autre, pardon et réconciliation, pour ne citer que ceux-ci. Ghislaine Nelly avoue avoir été bouleversée lors du cours sur le civisme et le citoyenneté, dispensé pendant sa formation. « Je ne suis pas fière d’avoir combattu. Je l’ai fait parce que moi aussi j’avais mal, j’avais tout perdu. Pendant la formation, on nous a appris à laisser tomber les choses, à désarmer nos cœurs. A mes frères et sœurs qui n’ont pas encore compris que nous devons avancer, je voudrais dire que la Centrafrique a besoin de nous pour se développer »avoue-t-elle avec un regard qui cache à peine le remords.  Idem pour Bob, déterminé à devenir meilleur que celui qu’il était hier. « Aujourd’hui, je ne sais pas qui pourra me convaincre d’aller casser ou faire du désordre. Je ne le suivrai pas. Je ne peux plus faire cela. J’ai un travail aujourd’hui, si je le laisse pour aller faire du désordre, je le perdrai. Si le pays retombe dans les violences, je ne l’aurai plus. Non, je ne peux pas et je n’encourage personne à emprunter cette voie », martèle le jeune homme.

 

Le Projet de réduction de la violence communautaire suit méthodiquement son cours et enregistre des succès probants. Mais, tant que des citoyens détiennent encore des armes, la Centrafrique court le risque de replonger dans la violence. Occasion d’inviter les sceptiques à s’engager, car c’est dans un environnement sans violence que les filles et fils de Centrafrique devront grandir et bâtir leur pays.

CVR