Reportage : Repli opérationnel de la MINUSCA pour renforcer ses bases dans le Lim-Pende 

21 mar 2022

Reportage : Repli opérationnel de la MINUSCA pour renforcer ses bases dans le Lim-Pende 

Noam Assouline

Bang, le 22 février 2022 – Aux confins de la République centrafricaine, à 5 kilomètres du Cameroun et à peine 2 km du Tchad, la base opérationnelle temporaire (BOT) de Bang vit ses dernières heures. Les 57 soldats du contingent bangladais de la MINUSCA, qui s’y relayent depuis 5 ans, ont pour mission de la rétrocéder aux autorités. 

Bang est une bourgade centrafricaine ordinaire ; on y trouve un poste de douane, un petit centre-ville avec quelques commerces, certains bâtiments officiels portant encore les stigmates de multiples incursions de groupes armés, qui opèrent toujours dans la région en profitant des nombreux couloirs de transhumance. 

La population sent le départ arriver. Aucune animosité, mais un sentiment de déception, d’abandon, malgré la courte distance qui sépare la ville de la base principale de Bocaranga et la BOT de Ndim. Mais la tristesse est vite remplacée par des sourires, voire des rires, quand, dès 07h30, sur le chemin de l’école, les enfants crient « Mon ami » au poste de garde, pour dire bonjour ou juste obtenir une bouteille vide qui permettra de puiser de l’eau et s’abreuver pendant la matinée. « Nous les soldats bangladais, nous sommes émus par la sympathie de ces enfants, lorsqu’ils viennent vers nous ; nous pensons à nos propres enfants et il est difficile de ne pas donner plus. Mais nous respectons les ordres », se confie le caporal M., que les enfants interpellent d’ailleurs par son prénom. La BOT étant situé en plein milieu d’un quartier peuplé, les jeunes habitants ont appris les prénoms de tous les sous-officiers. 

Les hommes de la BOT de Bang, bien que venant d’Unités diverses, essentiellement d’infanterie, forment un groupe homogène, dotés des nouveaux uniformes qui inscrivent l’armée bangladaise dans la modernité. Les tenues de terrain sont impeccables et démontrent le niveau de discipline du bataillon. Vivant dans un hangar reconverti en dortoir, les Casques bleus vivent aux rythmes des ordres, des prières et des repas. Tous s’affairent sous le regard de l’adjudant-chef J. Son physique imposant, le visage marqué par l’expérience, ferme dans les tâches qu’il donne à ses hommes, le sous-officier endosse un rôle quasi-paternel pour la troupe. Contrairement aux officiers, il partage le couchage et la douche et vit parmi les autres soldats. Le soir, dans cet ancien entrepôt des douanes, occupé tour à tour par les groupes armés et l’armée centrafricaine - qui ont couvert les murs de graffitis qui rappellent la douloureuse histoire de ce pays - la troupe et l’adjudant-chef J. se rassemblent devant un petit écran de télévision pour se reposer et regarder ensemble, chacun au travers de sa moustiquaire, un film du pays. 

Rester en contact avec la maison, est une lutte de tous les jours pour laquelle les descendants des « Bengal Sepoy » font preuves d’ingéniosité et appliquent les techniques apprises dans la région montagneuse du Chittagong, zone dans laquelle chaque fantassin doit servir. Aux quatre coins de la base - grande comme deux terrains de basketball - les soldats ont placé des pylônes de fortune sur lesquels pendent des bouteilles dans lesquelles, matin et soir, on glisse plusieurs téléphones qui serviront de routeurs. Le sous-officier des télécommunications vérifie l’état du réseau plusieurs fois par jour non seulement pour le confort moral des éléments, mais également parce qu’il s’agit de l’unique moyen de communication avec le secteur et la compagnie. 

Le Commandant M., dirige le TOB depuis quelques mois, et a la difficile tâche de superviser sa fermeture sans aucun incident. Doté d’un physique athlétique, cet homme d’action commande au Bangladesh une compagnie de blindés amphibies. Malgré les faits d’arme à son actif, il demeure humble. Son flegme est apprécié tant par ses soldats que par les autorités locales. Il a en effet réussi à créer une relation de confiance avec les Forces armées centrafricaines et c’est une réelle mise en œuvre du mandat de la MINUSCA qui s’opère tous les jours à Bang. Patrouilles conjointes, réunions régulières de sécurité, ou simples échanges autour de repas. Ces rapports simples permettent une diminution significative des violations de l’accord entre les Nations Unies et la République Centrafricaine et qui régit la mission de maintien de paix. Le Commandant M. est épaulé par un autre officier, d’un an son cadet à l’académie, le commandant Ma. et d’un interprète, le Capitaine A., avec qui il forme un trinôme inséparable.

Le Capitaine A. est un jeune civil recruté sous contrat. Devant s’acclimater à la vie militaire, il endosse le rôle clef d’officier de liaison grâce à sa maitrise du français et sa capacité à traduire directement et rapidement en bangla afin de veiller à une parfaite confidentialité des échanges. Chaque jour, escorté ou pas, il va à la rencontre des autorités, du directeur de l’école à qui il se présente en Sango. Cette marque d’attention est appréciée, et ces échanges simples permettent de recueillir des informations importantes sur les besoins et corroborer d’autres informations transmises par les agents de liaisons communautaires. En à peine deux mois, il connait déjà tout le monde, y compris le sous-préfet de Ngaoundaye qui a fait le choix de s’installer à Bang, loin des privilèges qui lui sont accordés.

Jean-Ulrich Sepayengba est réputé pour son autorité mais surtout pour ses talents de conciliateurs. En 2019, alors sous-préfet de Batangafo, il avait fait signer un accord de paix local entre Anti-balaka et ex-Séléka, avant l’Accord politique pour la paix et la réconciliation (APPR-RCA). Homme politique de terrain, il exprime avec franchise son sentiment partagé sur la fermeture de la base. « J’avoue être déçu du départ de la MINUSCA d’une zone où les besoins humanitaires et en matière de protection des civils sont immenses. Mais la rétrocession du terrain et des bâtiments des douanes et son occupation future et temporaire l’armée centrafricaine marque un retour de l’autorité de l’Etat dans notre sous-préfecture où tous les services déconcentrés de l’Etat sont présents. Nous venons d’ailleurs de recevoir un agent des Eaux et forêts », a-t-il conclu. 

La journée prend fin, des nuages de poussières s’élèvent de l’enclos, les talkies-walkies des tours de garde crépitent. La tente principale qu’occupe la mosquée vient d’être démontée ; les tapis de prière sont soigneusement déposés au sol, la dernière prière avant le départ demain aux aurores se fera à la belle étoile. Sous un ciel lourd, où au loin quelques maisons disparaissent pour laisser place à la brousse, trois drapeaux flottent haut devant le camp : la bannière onusienne flanquée du Jatiyo Potaka [nom drapeau bangla] et de la Bendere Ti Beafrica [drapeau centrafricain en Sango]. Une alliance de drapeau qui représentait pour Bang bien plus qu’un mélange de couleur. 

A l’aube, les blindés du Commandant M. et les hommes de l’Adjudant-chef J. s’engagent sur la piste principale. Les dernières formalités viennent d’être remplies par le personnel civil de la MINUSCA. Ils s’apprêtent déjà à revenir et veiller, comme le veut le mandat, à ce que les populations continuent d’être protégées et les autorités d’être appuyées.