Babacar Gaye : « la solution à la crise passe par une mobilisation générale »

1 jan 2015

Babacar Gaye : « la solution à la crise passe par une mobilisation générale »

« Mbi yéké na mabè / Je crois qu'il y a espoir » : dit le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies et Chef de la MINUSCA, le Général Gaye, qui a passé en revue les défis et les efforts qui ont jalonné 2014, lors d’une interview accordée, le 30 décembre, à la Radio de la Mission, Guira FM. Le Représentant spécial dit comprendre l'impatience des Centrafricains, rappelle la profondeur de la crise, se réjouit du fait que « le monde entier est au chevet de la Centrafrique» et salue leur appropriation du processus politique. A l’orée de 2015, tout cela lui fait parler d'espoir, mais avec beaucoup d'humilité et de compassions car c’est non sans reconnaitre les souffrances des populations et saluer leur résilience… Ci-après, l’intégralité de l’interview.

GUIRA FM : La MINUSCA a pris le relais de la MISCA il y a trois mois et demi. Depuis, la force de la MINUSCA poursuit son déploiement dans les secteurs Est, Ouest et Centre. La ‘Bangui joint Task force’ est bel et bien opérationnelle; l’appui au processus politique est en cours, malgré des soubresauts politiques et des problèmes d’insécurité omniprésents. Quel bilan faites-vous de ces trois mois écoulés?
 
Général Gaye : Il est vrai que les fins d’année sont toujours l’occasion de faire les bilans. Ce sont des moments où on voudrait presque arrêter le temps et se retourner un peu vers ce qu’on a fait afin d’en tirer à la fois des leçons et surtout des engagements pour l’avenir. Je dois commencer par dire que ces trois premier mois, dans le plan d’opération des Nations Unies qui est défini dans un document appelé le concept de mission, ne correspondent pas à un repère. Nous avions, de la part de nos autorités à New York, trois repères. Le premier est d’abord d’arriver à une transition avec la MISCA dont je voudrais ici saluer le remarquable travail sous l’autorité du Général Mokoko. Il s’agissait d’arriver à une transition pour le 15 septembre dans de bonnes conditions, nous y sommes arrivés. Ce que nous avons fait avec la MISCA a, d’ailleurs quelque part, valeur d’école. La seconde phase de notre travail va du 15 septembre au 15 avril. Ce que les Nations Unies attendent de nous dans cette période est que nous puissions établir une sécurité minimale alors que progressivement nos troupes arrivent dans le pays et se déploient. Je rappelle que sur les 10 bataillons qui nous sont autorisés, il nous en manque encore un peu moins de deux. Aussi les Nations Unies attendent de nous dans cette période que nous puissions aider à la création d’un espace pour un dialogue politique en vue de créer un consensus national sur le DDR, sur la réforme de l’armée et sur les élections. Voilà ce qu’attend de nous le Conseil de sécurité et à travers le Conseil, le Secrétariat de l’ONU qui met en œuvre les décisions du Conseil. Les trois mois, je dirai les 100 jours parce qu’on y était le 25 décembre, ne correspondent pas vraiment à un repère. Cela permet quand même d’avoir une indication sur les tendances. Je considère que les tendances sont encourageantes. D’abord le plus important pour nous est que le processus politique a été, en somme, revitalisé, d’abord le 18 octobre avec l’arrivée ici du ministre Ekouebe et des deux médiateurs qui sont les ministres Bathily et Maiga qui ont invité tout le monde à se ressaisir et à se remobiliser autour du processus et ensuite cette réunion du 27 décembre présidée par Madame la Chef de l’État de transition, qui a été l’occasion pour les Centrafricains de s’approprier pleinement le processus et surtout de discuter des conditions et des modalités du déroulement de la phase 2 qui est une phase essentielle. Dans le même temps, la force de la MINUSCA a bien supporté la crise d’Octobre. Elle en a tiré énormément de leçons. Elle s’est interposée à plusieurs occasions dans des situations difficiles à l’intérieur du pays. Elle poursuit une action résolue à l’Ouest et toutes ses actions sont ponctuées par des arrestations très importantes de criminels. Ces arrestations vont se poursuivre. Nous sommes dans une attitude face à cette situation d’insécurité qui nous permet d’augurer des progrès. Je le répète, ces trois mois ne correspondent pas-dans la vie de la mission- à une étape importante mais puisque c’est la fin de l’année je puis dire que la situation que nous avons vécue est encourageante et qu’elle autorise de l’espoir pour 2015.
 
GUIRA FM : Justement parce que vous parlez de situation encourageante avec la revitalisation du processus politique, vous avez décliné votre feuille de route mais est-ce que quelque part vous comprenez l’impatience des Centrafricains, une impatience dont se sont fait l’écho les media?

 

Général Gaye : Absolument. Je la comprends d’autant mieux que je suis de ceux qui la vivent je dirai le plus. D’abord parce que c’est mon mandat de protéger les populations. Je l’ai dit à l’occasion du forum de Dakar pour la paix et la sécurité, à l’occasion duquel j’ai été amené à intervenir dans un atelier sur l’usage de la force. Chaque fois que les forces des Nations Unies sont critiquées, et bien cela affecte le crédit de la communauté internationale en général et de son action parce qu’elles sont un outil de la communauté internationale. Je la comprends parfaitement parce que je la vis chaque fois que je me déplace à l’intérieur du pays. Je vois les souffrances des populations qui viennent à mon contact et je vois les stigmates de ces souffrances à travers toutes les personnes auxquelles nous portons secours mais à travers également toutes les personnes qui sont tuées et toutes les personnes qui sont blessées, qui souffrent dans les hôpitaux. Je comprends cette impatience mais je crois qu’on doit mesurer cette impatience à l’aune des souffrances des populations qui sont pressées de revenir à une vie normale mais je crois qu’il faut que cette impatience soit mesurée à l’aune de la profondeur de la crise. Je l’ai dit ce matin, le pays n’a jamais connu une crise comme celle-là. Grace à Dieu du reste. Le pays a souffert dans le passé de mutineries, de coups d’État, de soubresauts de la vie politico-militaire mais il n’y a jamais eu une crise qui a atteint cette profondeur; qui a affecté à ce point les relations entre les communautés et qui a affecté des symboles comme les lieux de culte, comme les hommes d’église. Tout le monde a été affecté, comme les femmes, comme les enfants. Il n’y a jamais eu une crise de cette profondeur dans le pays et c’est pour cela que, bien évidemment, sa solution passe par une mobilisation générale du pays. J’ai eu l’occasion de le dire dans plusieurs conférences de presse que le monde entier est au chevet de la Centrafrique mais qu’il fallait que les Centrafricains soient aussi au chevet de leur propre pays. Et c’est cela que nous voyons actuellement à travers les déclarations des groupes armés, l’organisation de leur différentes assemblées générales, l’appropriation du processus politique par les Centrafricains. C’est tout cela qui me fait parler d’espoir mais c’est avec beaucoup d’humilité et vraiment beaucoup de compassions que je reconnais les souffrances des populations et je salue également leur résiliences par rapport à cette souffrance. 
 
GUIRA FM : Parlons de la circulation des armes. Certains observateurs estiment que les armes sont en circulation libre en RCA et que le DDR tarde à se faire, que répondez-vous?

 

Général Gaye : Nous parlons de deux sujets très différents. Je commencerai d’abord par le plus complexe à savoir le DDR. Lorsque nous rencontrons aujourd’hui les groupes armés, tous déclarent qu’ils attendent le DDR. D’abord c’est la preuve qu’ils connaissent le DDR, que ce pays a déjà bénéficié des programmes de DDR dont, d’ailleurs, nous avons tiré les leçons avec beaucoup d’attentions et beaucoup de soins. Le DDR sera une des questions majeures du forum de Bangui. Il faut que, de manière consensuelle, les groupes armés, la société civile, les partis politiques et toutes les parties prenantes abordent les causes profondes de la crise et qu’en les abordant on apporte des solutions autres que les armes à ceux qui avaient pris les armes pour trouver une solution à leurs aspirations et à leurs frustrations. C’est dans ces conditions qu’on pourra obtenir un accord inclusif sur le DDR. Il ne s’agit pas de compensation, il s’agit de régler les problèmes profonds de la crise afin d’obtenir la démobilisation. Les gens n’auront plus de raisons de poursuivre le règlement de leurs problèmes par la voie des armes. S’agissant maintenant de la circulation des armes, c’est un constat et c’est aussi une question dont les Nations Unies sont saisies. Vous savez qu’il y a un groupe d’experts qui a été mis sur pied par le Conseil de sécurité et cette question de la circulation des armes est une question sur laquelle ils enquêtent avec beaucoup de soins. Il y a déjà une dissémination des armes dans le pays qui est le fait des conditions dans lesquelles la crise a eu lieu. Madame la Présidente, lors de son intervention devant les forces vives de la nation, a lancé l’idée d’un désarmement volontaire. C’est une excellente idée que nous soutenons. Il faut offrir à la population de Bangui, un jour par semaine, dans des endroits qui seront définis à l’avance, la possibilité de venir volontairement déposer leurs armes. Ce sont ces genres de gestes citoyens qui vont signifier que les Centrafricains eux-mêmes sont au chevet de leur propre pays. Ce sont ces genres de gestes citoyens qui vont permettre aux forces internationales de plus facilement faire la différence entre le bon grain et l’ivraie. Il faut que les gens cessent de détenir des armes. Il faut que les gens cessent de se faire Justice, il faut que les gens cessent d’avoir recours aux armes pour régler des différends. Voilà l’esprit de ce désarmement volontaire qui est différent du DDR qui s’adresse à des entités biens organisées, avec des chefs, détenant des armes de guerre en bon état et qu’il s’agit, dans le cadre d’un accord inclusif de s’en débarrasser en même temps que de quitter l’option militaire. C’est dans ce sens qu’on parle de démobilisation et de programme de réinsertion dans les communautés d’origines. 

GUIRA FM : Par rapport à ces projets de réinsertion, quand vous soulevez la question du DDR -nous étions à Bambari avec votre Représentant adjoint Aurélien Agbenonci- en quoi ces projets de réinsertion des jeunes à risque peut-il aider au retour à la paix et à la réconciliation nationale?

 
Général Gaye: Ceci me permet de revenir sur l’accord de cessation d’hostilités que nous avions signé à Brazzaville. Brazzaville était un moment très important parce que pour la première fois nous avions réuni toutes les forces vives de la nation. J’ai toujours en mémoire l’émotion qui a entouré l’hymne national centrafricain à l’issue de cette réunion. A Brazzaville nous avions le projet de faire adopter trois accords qui devraient structurer le processus politique et nous permettre de le mener à bien de manière apaisée. C’était un accord de cessation des hostilités qui a été signé mais l’article 4 -qui en est certainement un des plus importants- qui prévoyait le regroupement des groupes armés n’a pas pu être mis en œuvre pour diverses raisons que chacun connait. Nous devions aussi signer un accord en vue du désarmement, qui est différent d’un accord de désarmement. Nous devions, en somme, créer les conditions qui contribuent à apaiser les groupes armés et à les mettre en situation psychologique de vouloir aller au DDR. Malheureusement cet accord n’a pas été signé et je le regrette beaucoup car il aurait apporté une solution aux problèmes des fonctionnaires qui appartiennent à certaines communautés et qui ont le sentiment d’être aujourd’hui mis de côté. Cela aurait réglé le problème de certains membres de groupes armés qui avaient été à l’origine et à part entière membres des FACA (Forces Armées centrafricaines) et dont la réintégration aurait facilité aujourd’hui l’apaisement de ces groupes armés mais c’est ainsi. Tout cela nous a amené, au niveau des Nations Unies, en attendant le DDR et faute de pouvoir effectivement consacrer des sommes importantes au regroupement de tous les groupes armés à créer dans certaines zones que sont Bria, Bambari, Kaga-Bandoro et Bouar des travaux à haute intensité de main d’œuvres qui vont mettre ensemble tous les jeunes de ces localités, quel que soit leur appartenance. Qu’ils soient des groupes armés ou pas, nous voulons les mettre ensemble et travailler pour la communauté. Quand je dis que nous sommes là pour accompagner des processus, voilà une mesure d’accompagnement. Ce sont les Centrafricains qui se mettent entre eux, qui travaillent pour leur pays et nous les soutenons. L’on dit que le mouvement se prouve en marchant et bien le mouvement vers la paix doit se prouver à travers ces petits pas et que les jeunes de ces endroits comprennent que leurs intérêts et leur avenir n’est pas de tenir des armes mais de bâtir leur pays. Voilà un peu l’esprit dans lequel M. Aurélien Agbénonci s’est rendu dans ces localités; voilà l’esprit dans lequel lui-même a mobilisé des moyens financiers et c’est l’esprit dans lequel les collègues qui travaillent avec lui sont en train de mettre la dernière main à ces travaux à haute intensité de main d’œuvre. 

 

GUIRA FM : Pour être tout à fait complet sur ce sujet puisque cela a fait l’objet d’une controverse, quelle est votre position par rapport à la militarisation des FACA ?

 

Général Gaye : La militarisation des FACA est effectivement un sujet qui, je le sais, agite à la fois le landerneau politique centrafricain et aussi l’opinion public. Moi je vois à travers cette agitation des signes extrêmement positifs. D’abord le signe qu’il y a un attachement de la population à son armée et je salue cet attachement parce que l’armée dont la mission est de se sacrifier pour un pays a besoin, en retour, de recevoir l’affection de la population et je crois que cette affection est là. Il y a, maintenant que Madame la Chef de l’État de transition avait, dès l’entame de son mandat, essayé de remobiliser les FACA dans les conditions que chacun sait et je ne reviendrai pas dessus. Je le répète et je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, je n’ai pas trouvé dans les résolutions du Conseil de sécurité une ligne qui interdisait aux Forces armées centrafricaines (FACA) d’être opérationnelles. Ce que j’ai trouvé est que le Conseil souhaitait vivement que la réforme de l’armée se fasse en vue de mettre sur pied une armée professionnelle, une armée équilibrée et une armée représentative. En attendant de mettre sur pied cette armée, si l’État centrafricain veut rééquiper une partie de ce que sont les FACA d’aujourd’hui, il doit s’en référer au comité des sanctions qui, d’ailleurs, a déjà pris contact avec la République centrafricaine pour établir un dialogue qui doit progressivement amener à la régularisation de la situation. Il ne s’agit pas, à mon sens, de simplement dire nous voulons que les FACA soient opérationnelles, nous voulons que l’embargo soit levé. Il s’agit de se pencher avec lucidité sur les problèmes des FACA et c’est ce que nous venons de faire en disant que nous allons aider à la remise sur pied d’un premier bataillon qui va servir ici au niveau de Bangui à sécuriser, en somme, les points sensibles de Bangui, ce qui d’ailleurs va soulager les forces internationales. Je crois qu’ensuite, nous devons très rapidement nous pencher sur la réforme de l’armée afin d’avoir des documents qui seront discutés par les futurs participants au forum de Bangui, en amont du forum, afin de recueillir leurs observations. Cette question de la réforme de l’armée est vraiment une question fondamentale. 
 
GUIRA FM : Est-ce une façon aussi de rappeler que la sécurisation de ce pays incombe d’abord au Centrafricains, aux groupes armés centrafricains et ce même si la communauté internationale a été et sera au chevet de la Centrafrique ?

 

Général Gaye : Je crois qu’il est bon de préciser les choses. Le Conseil de sécurité rappelle dans toutes ses résolutions que c’est d’abord la responsabilité première des autorités centrafricaines de sécuriser leur pays mais le Conseil de sécurité rappelle aux groupes armés qu’ils doivent immédiatement et définitivement déposer les armes donc il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté. Il ne peut être, en aucun cas, la responsabilité des groupes armés de sécuriser le pays. C’est une responsabilité régalienne qui revient à l’État centrafricain. Ce que le Conseil demande aux groupes armés est de déposer, immédiatement et définitivement, les armes. 
 
GUIRA FM : Perspective 2015 et forum de Bangui, revenons très rapidement là-dessus. Vous vous êtes félicité du dialogue enclenché ces derniers jours en vue de la préparation de ce forum ; qu’en est-il de la participation de certains leaders centrafricains au lourd passifs à ce forum de Bangui?
 
Général Gaye : La question de la participation au forum de Bangui, nous pouvons l’aborder sous deux angles. Premier angle, s’il y a des responsables centrafricains qui sont déjà sous sanction des Nations Unies. Je fais savoir que le comité des sanctions, dans sa grande sagesse, a prévu des dispositions pour que dans l’intérêt de la paix et de la réconciliation des personnes sous sanction soient autorisées à voyager et à participer à des activités de cette nature mais il faut en demander l’autorisation au comité des sanctions. Deuxième aspect, s’agissant de la participation des Centrafricains au forum de Bangui, c’est une responsabilité qui revient aux Centrafricains. C’est à eux de décider avec qui ils veulent discuter à l’occasion de ce forum ?

 

GUIRA FM : Nous allons clore cette interview avec une question un peu plus personnelle : C’est la fin de l’année, c’est le moment des vœux, qu’avez-vous envie de dire par exemple à une jeune fille de Boy-Rabe et ce jeune garçon du Km5 qui vous interpellent par rapport à la situation de leurs pays?

 

Général Gaye: Ce que j’ai l’intention de dire à cette jeune fille de Boy-Rabe et à ce jeune garçon du Km5 est de se tourner vers leurs parents et de leur dire qu’ils sont en train d’hypothéquer leur avenir. Que leur pays est situé dans une zone de relative prospérité, que tous les pays voisins de la Centrafrique sont engagés résolument dans la voie du développement, que les autorités de ces pays sont en train de bâtir leur pays. Pendant que leur pays à eux, la Centrafrique, se débat dans une crise qui a apporté aux populations des souffrances infinies. Je voudrais qu’ils disent à leurs parents que leur avenir est entre leurs mains. Que ce sont les parents qui sont responsables de l’avenir des enfants et que l’avenir de ces enfants est aussi l’avenir de ce pays. Je crois qu’il y a une prise de conscience qui me parait essentielle en ce début d’année c’est cela, le sens de l’appropriation dont on parle tant.
 
GUIRA FM : Merci Général Babacar Gaye de vous être prêté à l’exercice de questions/réponses dans cette interview bilan des activités de la MINUSCA dans l’année 2014 et perspectives 2015.

 

Général Gaye: Merci et bonne année à tous.