La vie dans une base opérationnelle des casques bleus à Bocaranga

14 jan 2021

La vie dans une base opérationnelle des casques bleus à Bocaranga

Noam Assouline

Dans le nord-ouest de République Centrafricaine, la menace des 3R et des autres groupes armés pèse de nouveau sur la préfecture de l’Ouham-Pendé. A Bocaranga, les casques bleus de la deuxième Compagnie d’infanterie mécanisée du bataillon Bangladais (BANBATT) et la Compagnie mécanisée Alpha, composante de la force d’intervention rapide (FRR) du bataillon Népalais (NEPBATT), se tiennent prêtes à intervenir.

Arrivé il y a 3 mois, le BANBATT 7, commandée par le Major S., a pris ses quartiers dans le camp situé à l’entrée de la ville. La centaine d’hommes qui la composent à une connaissance du terrain : les cartes d’état-major rangées dans une cantine sont accessibles à tout moment, sans compter les moments de repos qui sont aussi des instants d’apprentissage.

A la base opérationnelle de compagnie (COB) de Bocaranga, les journées sont chaudes et les nuits froides. La vue, imprenable, permet d’observer toute la ville ainsi que la brousse alentours. Les sentinelles occupent leurs positions 24h/24, leurs fusils d’assaut prêts à défendre le camp, mais aussi à protéger les civils qui se refugieraient aux abords de la base. A cet effet, les terrains de manœuvre devant la base sont destinés à accueillir les populations le cas échéant. Ces espaces sont également sous la protection de blindés mobiles fournis par les deux bataillons.

Le Majors S., a la tête du BANBATT et le Major B. aux commandes du NEPBATT, n’en sont pas à leurs premières missions de maintien de la Paix en Afrique. Ils connaissent le terrain et les défis qui les attendent. Ils ne manquent aucune occasion de rappeler régulièrement à leurs hommes : « n’oubliez pas que nous sommes en Centrafrique pour mettre en œuvre notre mandat, notre tâche prioritaire : la protection des civils. Il en va des valeurs que vous défendez et du drapeau du pays que vous arborez sur votre épaule droite ! »

Le Major S. a déjà servi pour la mission de l’Organisation des Nations Unies (ONU) au Liberia (UNMIL). Il s’inscrit dans cette lignée d’officiers bangladais servant traditionnellement dans les opérations de l’ONU. Devant plus de 15 pays, le Bangladesh, membre des Nations Unies depuis 1974, est le deuxième pays contributeur de soldats de la paix depuis 1988, avec une participation au Groupe d'observateurs militaires de l'ONU pour l'Iran et l'Irak (UNIIMOG).

Le Major B. a, quant à lui, servi pour la Mission des Nations Unies au Soudan (UNMIS). Le Népal, membre des Nations Unies depuis 1955, est le cinquième contributeur de casques bleus, et participe aux missions des Nations Unies depuis 1958, avec une première intervention pour le Groupe d'observateurs militaires de l'ONU pour le Liban (UNOGMIL).

Le lien entre frères d’armes est naturel chez ces hommes ayant quitté pour un an Dhaka ou Katmandu. En effet, le Népal et le Bangladesh partagent une culture similaire tant d’un point de vue militaire, alimentaire ou des loisirs. Dotés d’une tradition militaire commune issue de l’Armée britannique des Indes, les officiers partent régulièrement en formation lors d’échanges bilatéraux. Les hommes échangent en anglais, bangladais et népalais, parfois surpris de se comprendre, tout en étant heureux de se retrouver lors des matchs de crickets organisés durant les temps de repos. Pendant ces moments, la hiérarchie et la séparation stricte entre officiers, sous-officiers et soldats du rang, est mise entre parenthèse. Le temps d’une partie, tous deviennent égaux sur ce stade improvisé, avant de regagner leurs baraquements respectifs.

La base en elle-même est particulièrement bien entretenue et construite pour durer. Les quelques allées bétonnées sont bordées d’arbres plantés par des hôtes d’honneurs, en l’occurrence les commandants et officiers qui se sont succédé depuis l’arrivée du BANBATT à Bocaranga. Au pied du terre-plein d’observation, une plaque rappelle la mémoire des casques bleus bangladais qui ont perdu la vie en Centrafrique. La tenue de travail, que l’on oppose à l’uniforme de cérémonie, reste impeccable malgré les conditions de vies difficile, la coupe de cheveux est règlementaire, et les hommes saluent avec droiture.

La vie au camp est rythmée par les cinq appels à la prière du muezzin, aumônier militaire et sous-officier central. Il prie avec les hommes avant chaque départ en mission et avant les repas dont les parfums d’épices réconfortent ces hommes loin des leurs.

La cinquantaine d’hommes qui composent la compagnie népalaise a relayé la FRR rwandaise et portugaise. Les conditions dans la base temporaire de cette force spéciale sont plus rustres (sous tentes), mais cela n’enlève rien à leur opérationnalité. Ces hommes, tous issus des différentes unités d’élites de l’armée népalaise sont des « Gurkhas ». Réputés pour leur courage, retenue et professionnalisme, ces vaillants combattants sont craints par l’ennemi qu’ils respectent à leur tour. Ils peuvent s’équiper en moins de sept minutes avant de s’élancer sur le terrain ; les blindés sont préparés à partir à tout moment. En opération, nul ne peut voir leurs visages ni croiser leurs regards, comme ce fut le cas lors d’un exercice d’attaque de convoi réalisé en parallèle avec les casques bleus bangladais.

Le Capitaine R. en jogging noir semble détendu. Pourtant, en anglais et népalais, il commande sa section avec fermeté. Rien n’échappe à son regard derrière ses lunettes qui reflètent la scène. Ses hommes casqués de bleu, le visage recouvert du « shemagh », foulard adopté par les commandos du monde entier, sont au garde à vous, leurs armes prêtes pour l’inspection et le début de l’exercice.

Un mot lancé par le capitaine et, en quelques secondes, les hommes rejoignent les blindés légers et des véhicules de combat d’infanterie qui partent en trombe simulant une alerte. Le soldat le plus impressionnant reste l’artilleur, dans sa tourelle, les mains rivées sur sa mitrailleuse. Il est le plus exposé, mais il est aussi celui qui répondra à toute attaque de convoi ou pour protéger des populations. Au-dessus du drapeau népalais, figure son patch de qualification : « Rangers ».

De l’autre côté du terrain de manœuvre, le Capitaine T. du BANBATT donne ses ordres à ces hommes, chronomètre à la main. Ils sortent des écoutilles et se positionnent presque en phalange, la position tactique la plus adéquate pour se défendre et assurer la sécurité du convoi. Ici également, il n’y a pas de place à l’erreur, « il en va de la vie de mes éléments et des personnes que l’on escorte. En plus des patrouilles régulières, nous avons pour mission d’escorter tous les convois qui traversent notre vaste zone de responsabilités sur des axes routiers dangereux par la présence des groupes armées mais aussi de l’état du réseau routier ».

Quelques heures après cet exercice, alors que les hommes s’apprêtent à profiter de la soirée autour d’une boisson chaude, à échanger des stratégies et parler de leurs familles, de Ganesh et d’Allah, l’alerte générale est donnée : les rumeurs grandissantes ne laissent pas de place au doute. Les soldats rejoignent immédiatement tous leurs postes de combat et une FRR est dépêchée en poste avancés de reconnaissance. Ils rentreront tous aux aurores…

Depuis leurs participations aux opérations de maintien de la paix (1988 pour le Bangladesh et 1958 pour le Népal) 130 casques bleus Bangladeshi et 74 casques bleus népalais sont morts « au service de la paix ». Cet article est un hommage à leur mémoire.

 

 

 

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