Le « rapport mapping », un pas important vers la justice pour toutes ces victimes, dit Diane Corner

30 mai 2017

Le « rapport mapping », un pas important vers la justice pour toutes ces victimes, dit Diane Corner

A l’occasion de la sortie officielle rapport sur la cartographie des abus et violations graves des droits de l’homme en RCA, la Représentante spéciale adjointe du Secrétaire général des Nations Unies en Centrafrique, chargée des Affaires politiques et des questions liées à la protection des civils, Diane Corner, revient sur les processus ayant conduit à la confection de ce rapport, ainsi que ses objectifs sans oublier son importance, notamment dans le cadre des efforts de lutte contre l’impunité. C’est dans une interview accordée au Bureau de la Communication stratégique et de l’information publique (BCSIP) de la MINUSCA.

BCSIP : Le rapport mapping sur les violations et abus des droits de l’homme et sur le droit international humanitaire a été publié ce 30 mai 2017. Qu’est-ce que c’est ce que ce rapport et quels sont ses objectifs ?

Diane Corner : Ce rapport est le résultat d’un travail qui s’inscrit dans le cadre du suivi des conclusions du Forum de Bangui. Si on regarde bien les conclusions de ce Forum, dont un des volets est basé sur « le plan de la justice et de la réconciliation ». Dans les conclusions, il est écrit que nous réaffirmons le consensus entre tous les acteurs centrafricains sur, entre autres, le renforcement des rôles des cours et tribunaux en matière de protection des droits fondamentaux ; la mise en place est effective avec le concours de la communauté internationale de la Cour pénale spéciale ; la nécessité d’engager des poursuites contre les auteurs des crimes commis en République centrafricaine ; la mise en place d’une commission justice, réparation et réconciliation et la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle.  

En septembre 2015, il y a eu un atelier international sur cette question lorsque le Haut-commissaire aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, était venu ici. Et c’était les Centrafricains eux-mêmes qui ont souligné l’importance de faire une cartographie des violations des droits de l’homme sur le territoire centrafricain. Cela a été intégré à la résolution 2301 du Conseil de sécurité qui donne à la MINUSCA son mandat. Voilà pourquoi nous avons lancé, le 11 mai 2016, le projet du mapping des violations des droits de l’homme. Et c’était une date importante, significative. C’est la date de commémoration de toutes les victimes du conflit en République centrafricaine.    

Alors en quoi consiste-t-il ? Le rapport est divisé en trois parties. Dans la première partie, on présente 620 violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire en RCA. Il couvre une période allant de janvier 2003 à décembre 2015. Cela correspond à la compétence temporelle de la Cour pénale spéciale. On s’est arrêté à décembre 2015, mais c’est seulement une date, puisque ça continue toujours.  

La deuxième partie du rapport présente les divers processus et mécanismes de justice transitionnelle : les poursuites, recherches de vérité, réparation, garantie de non-répétition, etc. On a véritablement identifié les défis et les actions requises à l’avenir afin d’optimiser leur chance de réussite.  Et la 3eme partie examine le contexte et émet des recommandations quant aux éléments d’une stratégie de poursuite pour la Cour pénale spéciale.   

Que nous pouvons retenir de ce rapport et qui sont les personnes incriminées ?

Ce qu’il faut retenir est qu’il s’agissait de faire un mapping des violations des droits de l’homme, répertorier les mécanismes de justice transitionnelle existant et proposer une stratégie pour la Centrafrique. Il s’agit aussi de proposer des axes prioritaires pour les enquêtes de la Cour pénale spéciale. Le rapport mapping est basé sur 1200 analyses de sources confidentielles publiques ou secondaires. Et environ 90% des sources utilisées étaient publiques. Il y avait bien évidemment des sources des Nations Unies et aussi des archives  de la commission d’enquêtes internationales, les bases de données du Réseau des journalistes pour les droits de l’homme (RJDH), les rapports des ONG, les rapports médiatiques et du département d’Etat des Etats-Unis. Il y a eu en outre des entretiens réalisés avec une équipe conjointe  MINUSCA/MONUSCO en 2013 en RD Congo. 

Ce que je dois souligner, c’est qu’il y a un niveau pour accepter les faits dans le rapport. Nous avons utilisé les normes de la preuve de la suspicion raisonnable, qui se définissent comme un ensemble d’indices fiables correspondant à d’autres circonstances confirmées tendant à montrer qu’un évènement ou autre incident s’est produit. En d’autres termes, il s’est agi de vérifier et ainsi voir si les informations obtenues corroborent avec au moins un autre témoignage ou document crédible provenant d’autres sources que la source primaire. C’est une norme de preuves utilisée par d’autres projets similaires

C’est  essentiellement un rapport sur les incidents, des attaques et des pillages. Il y a quelques noms dans le rapport mais ce ne sont que des noms d’auteurs présumés et ils ne sont cités que lorsque leur identité a déjà été révélée publiquement ou dans les mandats d’arrêt ou dans des jugements précédemment rendus. En outre, il y a eu des références au contexte politique et ces références comprennent les noms des responsables politiques qui ont, peut-être, fait des déclarations publiques qui étaient liées aux violations énumérées dans le présent rapport.

Mais, il faut souligner que l’identité de certains auteurs présumés des violations graves n’apparait pas dans ce rapport, mais conservée dans la base des données du Haut-commissariat aux droits de l’homme. Alors, je dois vraiment dire que ce rapport ne représente qu’une petite partie de toutes les informations que nous avons recueilli sur les abus des droits de l’homme en République centrafricaine.

Quelles sont conséquences de ce rapport ?

C’est une preuve additionnelle que la lutte contre l’impunité est en cours. Nous avons vu en RCA de longues années, voire des décennies d’impunité. Les auteurs des graves crimes n’ont été que très peu punis ; dans la plupart des cas, c’est  l’impunité. 

La mise en place de la Cour pénale spéciale et l’arrivée du procureur constituent un signal très important. Et il ne faut pas oublier que la Cour pénale internationale poursuit aussi ses enquêtes. Il y a quelques jours le procureur de la Cour pénale Internationale a rendu public un communiqué  sur  la situation en Centrafrique, et ceci constitue un avertissement aux auteurs des crimes graves sur le territoire centrafricain.  

Je dirai aussi que dans cette situation qu’a connue la République centrafricaine, il y a eu tant de crimes, tant d’auteurs et tant de victimes. Des situations similaires ont eu lieu dans d’autres pays, où il a fallu la mise en place d’un système de justice transitionnelle. Et le rapport fait aussi des recommandations sur cela.

Madame Diane Corner, le rapport est maintenant rendu public. Les leaders des différents groupes armés savent désormais que leurs exactions sont connues et que la justice peut s’en saisir. Quelles sont les mesures prises pour  éviter que ces différents groupes armés puissent replonger le pays dans les exactions comme certains l’ont fait dans le passé.

Bien entendu, la MINUSCA est très consciente de cela et, bien sûr, nous avons pris des mesures. Et je pense que nous avons montré ces derniers temps comment nous pouvons répondre d’une façon robuste, et nous allons continuer dans ce sens. Nous n’accepterons pas que des exactions soient commises contre la population. Mais je dois admettre que certains individus seront un peu surpris, voire un peu choqués par le contenu de ce rapport. Je ne fais pas seulement allusion aux groupes armés mais aussi aux gens qui appuient de temps en temps, car nous le savons. Ils reçoivent de l’argent venant de quelque part et je pense que ce rapport est un avertissement à tout le monde. Jusqu’ici, on a peut-être eu la possibilité, en République centrafricaine, de faire ce qu’on veut sans crainte de poursuite judiciaire. Maintenant, c’est fini. Car, comme on peut le constater, ce rapport révèle beaucoup plus d’informations qu’on ne le pensait, notamment sur ce qui s’est passé dans ce pays. Et je crois que cela servira d’avertissement à ceux qui croyaient qu’ils peuvent se permettre d’utiliser la violence contre la population. La lutte contre l’impunité entre dans une nouvelle phase. Le contenu de ce rapport en est une illustration, et j’encourage tout le monde à lire ce rapport et à prendre connaissance de son contenu. Je pense que cela sera un soulagement pour les victimes des graves crimes qui ont été commis sur le sol centrafricain. Ce sera aussi  un soulagement de savoir que ces crimes ne sont pas oubliés, qu’un jour il y aura la justice pour les victimes, pour la terreur qui a été instaurée dans le pays. Alors, vraiment il faut voir le rapport dans ce contexte-là. C’est un rapport très important ; un premier pas vers la justice pour toutes ces victimes centrafricaines.