À Boali, les enfants retirés des groupes armés tentent de retrouver une innocence volée par les conflits (REPORTAGE)

5 août 2016

À Boali, les enfants retirés des groupes armés tentent de retrouver une innocence volée par les conflits (REPORTAGE)

Ils ont entre 9 et 18 ans. Certains d’entre eux ont vu du sang, en ont parfois fait couler. Enrôlés de force dans les groupes armés parties aux violences qui ont secoué la République centrafricaine, ces enfants tentent aujourd’hui, avec l’aide des Nations Unies et de leurs partenaires, de retrouver leurs âmes innocentes dénaturées par les conflits, dans le cadre d’un projet de réinsertion à Boali (préfecture de l’Ombella-Mpoko, 95 Km au nord-ouest de Bangui). Reportage.

Le front plissé, les yeux fixés sur les planches de bois rabotées posées sur le sol, (*) Salim écoute attentivement, marteau en main, les recommandations de son instructeur qui lui montrer comment se fabrique un lit. C’est que le jeune homme de 17 ans veut devenir menuisier, « un grand menuisier avec un atelier même à Bangui même !», insiste-t-il, bien déterminé à apprendre tous les rouages du métier qu’il a choisi d’exercer six mois plus tôt. Quelques mètres plus loin, deux gamins de 10 ans chacun, Delphin et Boris, qui n’ont pas classe cette matinée, s’affrontent au jeu de dames, tandis que Dieudonné, 18 ans, concentré sur sa machine à coudre sous le hangar voisin, confectionne des blouses. Cette ambiance est plutôt tranquille, n’était pas le quotidien, il y a encore un an, pour ces enfants dont l’âge varie entre  neuf et 18 ans. Rassemblés au centre de « Boali-croisement », dans le cadre d’un programme de réinsertion initié par le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF), en étroite collaboration avec l’ONG CARITAS Centrafrique, ils ont été libérés avec l’aide de la MINUSCA, au plus fort de la crise militaro-politique et après, de l’emprise de plusieurs branches des groupes armés qui sévissent à travers le pays.

« Dans la localité de Boali, nous avons cinq centres pour plus de mille enfants. On a démarré avec les enfants depuis 2014. Ils nous sont venus par vagues, juste après leur libération», fait savoir le superviseur du centre de Boali-Croisement, Emmanuel Aouane.

Le premier volet du processus consiste en une prise en charge psychosociale destinée à restaurer dans l’esprit des enfants les valeurs qu’ils ont perdu du fait de leur captivité. Aussi, « par des activités ludiques, des groupes de parole, le sport, le dessin, pour ne citer que cela, nous travaillons à faire retrouver aux enfants leur esprit d’enfant », explique l’agent psychosocial au centre de Boali-Croisement, Nadia Gadendji.

« Ayant pour beaucoup, des problèmes avec l’autorité – soit parce qu’ils ont subi des abus d’autorité, soit parce qu’ils exerçaient eux-mêmes une autorité, bon nombre d’entre ces enfants ont des comportements violents dans les premiers moments de leur arrivée. Ils se battent tout le temps ou peuvent se murer dans le silence ou encore réaliser des dessins aux connotations négatifs », témoigne, pour sa part, le superviseur du centre de Bogoula (village de la région de Boali), Bienvenue Ndoto-Milabe. « Mais passée cette première étape, vous voyez que peu à peu, ils commencent à s’intéresser à ce qui les entoure et à se socialiser correctement », se satisfait-il.

Une fois les enfants « canalisés », s’opère le deuxième volet de la prise en charge des enfants, c’est-à-dire, leur répartition dans les activités qu’ils auront choisies avec l’aide des agents psychosociaux. « Qu’ils aient choisi de retourner à l’école, d’apprendre un métier, de gérer un commerce ou de s’adonner à l’agriculture ou l’élevage, ici, il n’est pas question de mettre une quelconque pression aux enfants », insiste Nadia Gadendji. « Tout ce que nous faisons comme activité, nous le faisons avec leur consentement, afin de bien leur montrer qu’ils ont leur mot à dire et que nous ne les forçons pas à faire ce qu’ils ne veulent pas. Pour les adolescents, il faut compter avec la puberté, mais nous sommes formes à communiquer avec eux en tenant compte de leur besoin d’affirmation », renchérit, pour sa part, le superviseur du centre de Boali-Poste, Jacques Zombe.

La période de formation terminée, elle laisse la place à la réinsertion des enfants. « À la fin de la formation, chaque apprenant reçoit de quoi démarrer son activité. Ainsi, des kits ont déjà été remis à une partie de ceux qui ont opté pour l’élevage. Ils ont reçu des animaux qu’ils élèvent sur un lopin de terre prêté par la chefferie villageoise. Un groupe de bénéficiaires de petits commerces a aussi été installé, après avoir reçu un lot de marchandises », indique le chef du Projet de réinsertion des enfants retirés des groupes armés pour la CARITAS, Dongobada Thierry Hyppolite. Il s’agit d’une étape cruciale « car toute faille à ce niveau pourrait engendrer le risque pour ces enfants d’être influencés par l’oisiveté et donc les vices », ajoute-t-il.

Toutes ces initiatives pour redonner l’espoir d’une vie meilleure aux enfants ne peuvent se faire sans l’appui de la communauté. Ainsi, pour les projets d’élevage ou d’agriculture par exemple, c’est gracieusement que les chefferies villageoises octroient des parcelles aux jeunes pour exercer leurs activités. « Ce sont nos enfants, nos frères et nous voulons, plus que tout, les voir revenir sur le bon chemin. C’est pour cela que nous participons à notre façon », déclare Nestor, un habitant du village de Bogoula rencontre au centre.

Pour les enfants qui ont choisi de retourner sur le chemin de l’école, ils sont suivis jusqu’à la fin de leur lycée. « Nous nous occupons de leur suivi en leur faisant faire leurs devoirs et également en communiquant avec les enseignants », précise Nadia Gadendji qui, en ce début d’après-midi, accueille les premiers écoliers qui rentrent des classes. Fatima, 9 ans, en fait partie. Les yeux vifs malgré son air quelque peu timide, elle raconte sa journée à l’encadreuse qui s’en enquiert. Quand elle sera grande, Fatim veut devenir « Maitresse d’école ! », pour apprendre aux enfants à lire et écrire, dit-elle, confiante.

L’engagement signé, le 5 mai 2015, par 10 groupes armés en marge du Forum national de Bangui, de ne plus recruter ou associer aux enfants, découle du dialogue initié par la MINUSCA en collaboration avec l’UNICEF a engagé avec ceux-ci. Il a permis la séparation de 1988 enfants. En 2014 déjà, 2807 enfants avaient été séparés de ces mêmes groupes.

 (*) Pour des besoins de sécurité, les noms des enfants cités dans cet article ont été changés.